La proue dirigée vers un noir d’encre, la poupe encore éclairée par les lueurs de Dakar, nous quittons le continent le soir du 22 novembre. Après 3 mois sur les routes, c’est sur les mers que continue le périple.

Pas vraiment le temps de s’acclimater à ce nouvel environnement, nous devons naviguer de nuit et prendre la barre à tour de rôle avec Xavier pour réussir à dormir quelques heures, ce que les navigateurs appellent « prendre des quarts ». Je me retrouve donc à driver un catamaran de 17 mètres entre 2h et 5h du matin, dans une mer inconnue avec une famille à bord. J’ai connu des moments plus sereins. C’est un beau et grand bateau dont l’énorme surface de voile lui permet d’atteindre des vitesses impressionnantes. Le vacarme du ressaut hydraulique à l’arrière du bateau est similaire à celui d’un moteur de 150CV et son sillage n’a rien n’a lui envier. Les conditions météorologiques idéales nous font parcourir les 350 milles nautiques (630 km) en seulement une journée et demie. Nous arrivons sur l’île de Boa Vista au petit matin. Nous longeons une plage magnifique, interminable et déserte pendant des kilomètres.

Nous affalons les voiles et le petit équipage se réveille au son du cliquetis de la chaîne de mouillage qui passe sur un taquet en laissant descendre doucement l’ancre vers le fond. Nous avons l’impression d’être les premiers hommes à découvrir cette terre, tout l’équipage se prépare, excité à découvrir ce nouveau monde et content de toucher la terre ferme. Ce paysage linéaire et sableux me projette quelques semaines auparavant, dans le Sahara où la soif, la solitude et les conditions extrêmes m’assaillaient. Aujourd’hui, je suis sur un voilier luxueux, accompagné d’une belle petite famille devant une plage paradisiaque. J’ai même une bouteille de rhum et des fruits frais dans le cockpit. Contrastée, cette grande balade.
Nous passons la matinée à plonger, nager, sauter et jouer du cornet à piston…Cette récréation sonne aussi la fin de notre épopée commune. Avant les aurevoirs et les remerciements, les filles me font un spectacle de danse et me font quelques dessins « personnalisés ». Je reprends le vélo pour rejoindre l’équipage avec lequel je vais traverser l’atlantique mais j’ai le cœur gros de quitter cette famille passionnante.

Je rejoins ma nouvelle monture, Boomerang, un catamaran de 12 m et son équipage : Stéphane, le capitaine, Geneviève, la capitaine et Camille et Charles les moussaillons. Ils font un tour du monde en famille et à la voile pour profiter du monde et surtout des spécialités culinaires locales. Grands gourmands et gourmets, ils écument les échoppes et les gargotes à la recherche des traditions culinaires oubliées les plus étranges les unes que les autres. Petit blanc quand je leur rappelle que je suis végétarien… Ils comprennent que je ne suis pas dogmatique sur le sujet, nous allons nous entendre.
Le Cap Vert n’est pas vraiment vert.
Il est situé à la même latitude que Dakar, il y fait sec et chaud. L’océan régule légèrement le climat et on y retrouve davantage de végétation que sur le continent, en face. En tant qu’archipel volcanique assez éloigné du continent, il bénéficie d’un fort endémisme. J’ai notamment pu observer le Mabuya de l'île de San Nicolau et Moineau du Cap Vert, présents uniquement sur ces îles.






Après quelques jours à sillonner l’archipel, nous décidons de nous lancer dans la grande traversée le 11 décembre.
Transat… Pour certains, ce joli mot évoque des soirées estivales entre amis autour d’un bon barbecue, le coucher de soleil dans les yeux et un verre de pastis à la main. Pour d’autres, comme pour moi, il signifie beaucoup plus qu’une chaise longue au tissus jauni par le soleil. Il sent les embruns, les magnifiques aventures maritimes, les courses au large en solitaire, les passionnantes histoires de pirates mais aussi l’épouvantable commerce triangulaire. Grâce à l’équipage de boomerang, j’ai donc la chance de mettre les pieds dans ceux d’illustres navigateurs et de toucher du doigt l’histoire maritime. Je traverse l’Atlantique à la voile.

Et pour débuter rien de tel qu’une avarie… Première nuit, le vent forcit, je ne suis pas de quart et tente de m’assoupir dans ma cabine. Un choc énorme me précipite contre la paroi. Tout ce qui n’est pas arrimé dans le bateau vole à travers le carré, ustensiles, coussins mais aussi les jeux des enfants et notamment une grosse caisse de Lego…Je cours vers le cockpit en écrasant quelques briques saillantes et rejoins Stéphane et Geneviève en panique. On vient de perdre un des deux safrans ou gouvernails, il ne répond plus. Le bateau se met irrémédiablement parallèle aux vagues qui nous tabassent. J’essaie de maintenir le bateau comme je peux pendant que Stéphane bondit dans le coffre du safran défectueux. Geneviève lui transmet les outils à sa demande, une opération à cœur ouvert. Quelques dizaines de minutes et de seaux d’eau plus tard, Boomerang semble reprendre un mouvement régulier, la tension redescend. Nous sommes prêts pour la suite. Cette montée en stress collectif aura été la première d’une longue série. Certaines légitimes, d’autres moins. Il m’aura fallu quelques jours pour comprendre le fonctionnement de cette famille et m’y habituer. Les jours et les nuits se succèdent au fil de lecture, repas, sieste et navigation. Petit à petit, nous prenons nos habitudes et le bleu infini de la mer et du ciel devient commun, la tapisserie de notre cabane. Nous sommes plutôt épargnés par la météo et nous naviguons assez confortablement vers la Martinique.






Une dernière avarie qui m’oblige à monter en haut du mât avec 3m de vagues et 30 nœuds de vent et nous arrivons, 13 jours après notre départ, au Marin, en Martinique. Pendant cette traversée épique, il y eu la visite de Fou bruns, d’Océanites, de Rorquals, de Dauphins et même d’un Paille-en-queue qui élu domicile sur le pont pour quelques heures… Des pépites d’inattendus dans une monotonie pesante ou seule la couleur des cieux et de la mer se permet quelques exubérances.

On est le 24 décembre et je prends congé de mes hôtes navigateurs en les remerciant chaleureusement de cette expérience unique. Je reprends la bécane et vais trouver refuge chez la sœur du voisin d’un oncle… Sophie. Je dois rester quelques jours pour trouver un bateau qui pourrait m’emmener en Guyane. Je m’aperçois très rapidement que ça va être très compliqué au vue des courants et des vents contraires. Je décide donc de changer de programme et d’envisager le tour de l’Amérique dans l’autre sens à savoir Colombie, Equateur, Pérou, Brésil et Guyane. Il sera plus facile de trouver un bateau pour les Antilles en Guyane. Bonne idée mais pas suffisante.






Je ne trouve rien pendant 1 mois et demi, il faut maintenant trouver une solution rapidement. Et puis un matin, je rencontre un couple de jeunes, ukulélé sur l’épaule et maracasses dans les mains en train de chercher des équipages pour partir sur le Continent. On se croise, dubitatifs :
« - Salut, c’est la première fois qu’on te voit ? Tu es là depuis longtemps ?
- Oui, ca fait 1 mois et demi et c’est vraiment chaud pour partir d’ici.
- Depuis un mois et demi ? Mais tu devrais venir nous voir, on est tous sur la colline derrière la marina, on squatte une petite forêt et on vient faire les poubelles de la Marina le soir, on a plein de bouffe !
- Vous êtes TOUS sur la colline ? Comment ça TOUS ?
- Yes, on est une trentaine à faire du bateau stop mais viens ce soir, on fait une grosse teuf parce qu’une copine a réussi à trouver un bateau pour partir d’ici ! »
Fin de ma recherche en Martinique, je pars au plus tôt, mais ce sera sans voilier. Je sollicite donc la CMA-CGM, une grosse boite de transport maritime, pour traverser en cargo. La standardiste m’informe qu’il est tout à fait possible de prendre un cargo mais que :
1- C’est 150€ par jour
2- Le voyage doit être minimum de 5 jours, or, il n’en faut que 4 pour aller du Marin en Martinique au Dégrad des Cannes en Guyane donc la solution serait de monter à Saint-Martin et dans ce cas, cela fera bien 5 jours.
Il faudrait donc que je trouve un bateau qui m’emmène plein nord à Saint-Martin pour que je prenne un cargo qui le lendemain s’arrêterait en Martinique pour aller en Guyane, et ce pour 750€. Bah non.
Je prends l’avion et arrive en Guyane le 10 février. A moi la forêt tropicale !
