Même si culturellement, le nord du Maroc est radicalement différent du sud de l’Espagne, les écosystèmes, eux, sont similaires. La transition paysagère est donc très douce, si ce n’est l’apparition d’une population nombreuse et enthousiaste sur le bord des routes, d’une architecture rudimentaire et d’une pollution plastique omniprésente.

L’absence d’organisation de la collecte des déchets couplée à la non-éducation à l’environnement fait des ravages. Pendant plusieurs centaines de kilomètres à pédaler dans le nord du Maroc, je n’ai pas vu cinq mètres de bas-côtés consécutifs sans déchets. Le champ de vision systématiquement pollué, la route devient pesante. L’odorat n’est pas en reste puisque certains tentent de remédier à ce problème en brûlant les déchets. Ce n’est donc pas sur la route que le nord du Maroc me marque.

Je rencontre Youssef via le réseau Couch Surfing à Larrache (c’est bien le nom de la ville…). Comédien et musicien prometteur, il fait partie d’une nouvelle génération de Marocains à vouloir s’émanciper de certains archaïsmes de la société. Il organise des festivals de théâtre et participe à la mise en place d’école de musique, de centres culturels. Je l’accompagne dans les ruelles étroites du centre-ville jusqu’au cœur de la médina. Un magnifique bâtiment blanc et indigo semblable à l’image d’Épinal de Chefchaouen a été réhabilité en centre culturel. C’est tout d’abord le type de population qui fréquente l’établissement qui étonne : des jeunes, des vieux, des garçons, des filles, des travailleurs et ouvriers, une classe sociale loin de celle qui côtoie les centres culturels occidentaux.
À gauche, un concert de musique traditionnelle Gnawa, puis une salle de jeux, à l’étage, une exposition de peinture d’artistes locaux talentueux, sur le toit, un bar bondé.
Youssef s’installe dans une alcôve et est rejoint par deux amis, ils vont répéter une dizaine de compositions : chant, guitare, cajon. Je les remercie et les laisse à leur art.
Leur musique sera ma bande-son jusqu’à ce que je sorte du centre, harnache mes sacoches, mette mon casque, ajuste mes lunettes de soleil et décolle pour reprendre la route, toujours plus au sud.
En faisant jouer le réseau naturaliste et professionnel, je rencontre Yassine, ornithologue au sein d’un bureau d’études spécialisé dans l’expertise des milieux naturels. Après une sortie pour observer quelques oiseaux dans la lagune de Moulay Bousselham, Yassine m’invite chez lui à Mohammedia.

Il travaille toute la journée et doit partir en France une partie de la semaine. Il ne me laisse pas le choix et me donne une paire de clefs : « tu es ici chez toi. Je reviens en fin de semaine. Profite bien du Maroc ! ». Je passe une semaine à me plonger dans sa bibliothèque naturaliste et faire le point sur les kilomètres passés.
Ce temps de pause est salvateur. Je renoue avec les plaisirs de me faire des repas complets, couper des légumes sur des planches à découper, mettre une poêle et une casserole sur le feu simultanément. J’avoue que malgré la praticité de mon petit réchaud à essence, ma popotte et mon Victorinox, c’est peut-être une cuisine un minimum équipé qui me manque le plus.
Yassine revient et nous n’aurons malheureusement pas l’occasion de refaire une sortie naturaliste ensemble, je dois rejoindre Marrakech dans les jours à venir à 280km soit quatre jours de pédalage. Je vais changer de cap et quitter les bords de l'Atlantique avec une urbanisation omniprésente pour entrer dans les terres marocaines, plus naturelles, plus sauvages.