Le moteur du bus vrombit depuis des heures, ses amortisseurs fatigués transmettent à la carlingue bruits et secousses. Pourtant, la scène extérieure est immuable : sables, rocailles, dunes, rocailles, sables, sables, dunes, rocailles… Nous traversons le nord du Sahara au sud du Maroc.

La climatisation annihile la réalité de l’enfer caniculaire qui se trouve juste derrière la vitre, à quelques centimètres de mon visage. Cependant, je devine l’intensité de ces conditions extrêmes en regardant les rideaux de brumes de chaleurs ondulant au-dessus de la route. C’est amusant jusqu’au moment où je prends conscience que bientôt, je ne serai plus protégé par cette caisse réfrigérée. Je vais devoir non seulement résister à une chaleur implacable, mais également au vent, au sable et à la sécheresse qui l’accompagnent. Je vais traverser plus de 700 km de Sahara à vélo… Je sue malgré la clim…

Les vibrations et le volume du bruit diminuent, nous nous arrêtons. Nous sommes au poste-frontière marocain. Submergé par l’intensité lumineuse et thermique à la descente du bus, j’ai du mal à comprendre ce que je dois faire des sacoches et du vélo au milieu de ce foisonnement de véhicules en tous genres.

Un préposé aux bagages, très sympathique, m’informe de la démarche à suivre, me désigne les différents postes de douanes et de polices, fait des blagues. Vraiment très sympa. Mais il parle arabe. Je ne comprends strictement rien. Il prend mon vélo, charge les sacoches sur une charrette et trace vers la Mauritanie. Je le suis. Les douaniers marocains m’interpellent, ils doivent contrôler mon passeport. À droite, les douaniers qui prennent mon passeport, se le passent entre eux, discutent... À gauche, le bagagiste qui file vers la Mauritanie avec TOUT ce que j’ai, excepté le passeport. Je finis par récupérer le document et cours vers le bagagiste. Il ne faut pas courir à une frontière... C’est très suspect... Un douanier me voit, me contrôle de nouveau et me tape la discute, je stresse de voir s’évanouir ma « tiny house bike » dans cette cour des miracles automobile. Heureusement, je perçois le bagagiste s’arrêter à l’arrière d’un minibus, sûrement celui que je dois prendre pour traverser le No man’s land sahraoui et rejoindre Nouadhibou. Je re récupère mon passeport, rejoins le minibus, charge le vélo sur le toit, tasse les sacoches dans le coffre, m’assieds à l’arrière et souffle.
Nous traversons alors le No man’s land. Il s’agit d’une zone démilitarisée de 5 km entre les postes-frontière marocain et mauritanien, établie suite au cessez-le-feu de 1991 entre les autorités marocaines et le Front Polisario, mouvement politique armé indépendantiste sahraoui. Au vu des trafics qui s’y déroulent, la zone est surnommée « Kandahar » en référence à la ville afghane. Traverser cette zone n’est pas des plus rassurant : panneaux mentionnant la présence de mines, des centaines de carcasses de voitures et de camions, piste défoncée…

Silence pesant dans le minibus jusqu’à ce qu’on retrouve du bitume sablonneux sur le sol mauritanien.

Après les formalités au poste-frontière et un thé offert par les douaniers (!), nous continuons notre trajet sur la route ridée et arrivons enfin à Nouadhibou, capitale économique mauritanienne. L’ami d’un ami d’une amie (…) doit m’héberger. La situation est plus complexe que prévu, je vais finalement dormir sur le toit d’un immeuble avec vue sur toute la ville. Je n’aurais pas pu trouver un meilleur squat pour ma première nuit en Mauritanie.

Il est 6h05 et il est déjà grand temps de prendre la route pour avaler un maximum de kilomètres avant que la température ne me fasse flancher. Les premiers kilomètres dans le Sahara ! Pas de lyrisme, c’est la guerre dès les premiers mètres. Chaleur intense, vents de face, rafales de sables, aucune ombre et les bidons d’eau qui se vident tellement vite que j’ai l’impression qu’ils fuient. La première journée est harassante. Seule perspective qui me motive : trouver le pied d’une dune pour m’accueillir, y monter la tente et dormir au milieu du Sahara, évènement fantasmé depuis le début de la préparation de cette épopée. Le soleil décroît avec la température et une brèche dans le massif dunaire qui longe la route me laisse espérer un bel hébergement. C’est le cas. Je roule tant bien que mal à travers cette ouverture vers un massif sableux relativement plat. Je m’installe et reste béat quelques minutes en contemplant mon bivouac et son environnement : j’y suis. Un magnifique Traquet rieur d’un noir intense, intrigué par cette scène inédite, se pose à deux mètres de moi, décolle, virevolte et se repose sur une pierre à un mètre de distance. Je me demande si je ne rêve pas et j’ai l’impression qu’il fait de même. Il finit par m’abandonner à la belle nuit qui m’attend.

Le sourire bien accroché, je me prépare à ce moment inoubliable. Il l’est en effet. D’abord, bien entendu, pour la symbolique qu’il représente, mais également à cause de la tempête de sable qui s’abat sur mon abri de fortune. Malgré la fermeture de la tente et la mise en place du double toit, chaque assaut venteux ensemence l’intérieur de la tente avec des paquets de sables. Le vent passe sous le double toit et la moustiquaire sert de tamis. Tous les grains de sable de diamètre inférieur à celui de la trame de la moustiquaire pénètrent dans la tente sous forme d’une douce pluie. Après un certain temps à réfléchir comment lutter, la fatigue me terrasse et je me couche, exténué. Alors, la tête collée à l’extrémité de la tente pour éviter de finir les poumons ensablés, je passe la nuit, bercé par le bruit de cette pluie poussiéreuse. Au petit matin, je me réveille à moitié enseveli comme une antiquité égyptienne dans sa niche inviolée. Je m’ébroue et reprends la route.

