Le premier panneau d’information que je croise sur le bord de la piste défoncée à l’arrivée dans le parc m’invite à me méfier des bordures des zones humides dans lesquelles s’épanouissent de joyeux crocodiles du Nil… Un accueil original, flippant et excitant qui présage de belles rencontres. Petit à petit, je sens mon état d’esprit de guerrier du désert se relâcher. Plus besoin de lutter contre un environnement hostile. J’ouvre les yeux, les narines, les oreilles en grands et c’est un festival.

Bienvenue au Parc national mauritanien de Diawling, parc transfrontalier avec le Sénégal de plus de 70 000 ha, zone estuarienne du fleuve Sénégal et Réserve de Biosphère de l’UNESCO, ça pose un statut. Je suis reçu par Zein, conservateur du parc, teint halé, petite moustache et chemise bardée de logos : Parc de Diawling, BACOMAB, UE, Banque mondiale, RAMSAR, UNESCO, etc. Un homme sandwich au service de la biodiversité. Après avoir échangé sur la démarche du projet Naturaliste nomade, il m’invite chaleureusement à rester le temps qu’il faut. Je me fais attribuer une petite chambre aux murs orange vif dans la maison du parc et y déballe mes sacoches encore ensemencées de sable saharien. Je m’y sens bien et m’y repose en fantasmant les observations naturalistes à venir.
Il faudra quelques dizaines de mètres de randonnée sur les petites pistes en argiles pour comprendre que l’observation de la faune ne nécessitera pas d’affut et peut-être même pas de jumelles ! 10 mètres et un Œdicnème du Sénégal me grille la priorité, 10 de plus et un couple d’Alcyons pie, le « martin-pêcheur » local, hurle en faisant un concours de vol acrobatique, puis c’est un phacochère qui gambade, un rollier qui ébroue son plumage bleu électrique, une nuée de libellules rouges, un varan des steppes qui joue au joint (f. photo) entre deux poteaux, cette fois, l’opulence espérée est bien réelle.






De retour de ce zoo sans cages, je croise Zein revenant d’un village de pêcheurs situé dans le parc.
« - Bonjour Zein ! C’est incroyable cette diversité et cette intimité que l’on peut avoir avec la faune ici ! J’ai vu au moins une trentaine d’espèces d’oiseaux ce matin !
-Ah ! Super ! Tu me feras une liste ? Tu as pu faire de belles photos ? Moi aussi, j’ai de la chance, j’en ai vu 93 en 1 heure de route. On est gâté ! »
93 en 1 heure ! Moi qui croyais avoir l’œil ! En tant que conservateur, Zein met en place de nombreux protocoles de suivi de la biodiversité mais également des programmes de soutien aux populations locales en favorisant les activités économiques traditionnelles en lien avec la biodiversité, telles que la confection de nattes en Sporobolus, de savons végétaux ou d’encens. Nos échanges sont rares mais riches. Au-delà des aspects naturalistes, il me fait partager une vision de la Mauritanie bien différente de celle de Said, une vie rurale dans un environnement chaud et riche.

Les premiers jours sont dédiés à la photo et au repérage pour des séances de vidéos ultérieures. Je trace vers le fameux panneau « Croco » sur les conseils de Zein pour essayer de capter un œil ou une mâchoire dans l’appareil photo. J’attends sans bouger. Longtemps. Il fait chaud. Très. Puis j’entends de petits coups irréguliers sur une surface dure. Je n’ose tourner la tête de peur de louper l’apparition du saurien ou de me faire gober. Le son est juste à côté, on a l’impression que cela provient du panneau au-dessus de moi. Je finis par lever la tête. Sur le fameux panneau, un Alcyon pie est en train d’assommer sa nouvelle prise pour l’avaler sereinement. Il jongle avec l’énorme poisson puis le fracasse contre le panneau, le retourne et pan ! Ça dure au moins 3 minutes. En plus des dizaines de logos, le panneau est constellé de traces de sang séché. Ce n’est pas la première fois que le petit barbare s’adonne à ses jeux morbides. Je n’aurais pas vu le croco mais j’aurais vécu un beau moment naturaliste. Je repars vers la maison du parc et suis surpris, puis fasciné, par un vol incroyable de centaines de Pélicans qui assombrissent le ciel, juste au-dessus de moi. Je ne sortirais pas l’appareil photo, je veux avoir rien à faire d’autre que de profiter pleinement.

Depuis quelques semaines, une charge mentale me taraude. Un équipage va m’attendre dans quelques semaines au Cap Vert, mais je ne sais pas comment je vais pouvoir atteindre l’archipel depuis Dakar. Je contacte la marina de Dakar, des personnes ressources, mais aucun voilier n’est prêt à partir vers le Cap Vert. J’en informe le capitaine du voilier qui va m’attendre là-bas. Une heure plus tard, il me rappelle et a trouvé une solution : une petite famille avec qui il est en contact et qui fait le tour de l’Atlantique à la voile va faire ce trajet. Le petit souci, c’est qu’il le fera le lendemain ! Etant donné la difficulté à trouver une embarcation, je décide de quitter précipitamment Zein et le Parc de Diawling. Pour la deuxième fois, je ne pourrais pas faire ce que j’avais prévu dans une Réserve de Biosphère, c’est frustrant. Me voilà donc parti au petit matin pour rejoindre la frontière sénégalaise, puis Saint-Louis, où je trouve un taxi brousse sur lequel je jette le vélo et enfin, j’arrive à Dakar.

Le volume sonore entre Diawling et Dakar n’a pas changé mais sa nature, radicalement. Cette ville ne m’a montré que ses aspects désagréables : surdensité de voitures, de pollution, d’agressivité. Je ne me souviens pas avoir déjà eu cette impression dans tous mes voyages antérieurs. Heureusement, je rencontre mon équipage de choc pour aller au Cap Vert. Xavier le capitaine, Nathalie la capitaine, Ainoa, Maialen et Elaia, les moussaillonnes ainsi qu’Aïmalaïa, un superbe catamaran de 55 pieds soit 17 m. On fait vite connaissance, on embarque les courses et on largue les amarres pour la haute mer. Je quitte donc l’Afrique pour rejoindre l’Amérique, un grand moment. Mais avant, j’ai juste une petite bricole à faire : une transatlantique à la voile…
