1er septembre 2019, 21h. Parc Saint-Michel, Les Essarts, Vendée. Je suis allongé dans une tente encore étrangère. Je regarde, embrumé, mon nouvel espace. Seules des sacoches bombées et une odeur de neuf me tiennent compagnie. Et l’émotion intense qui m’assaille n’est pas celle que j’attendais : je doute.

Je suis parti le 1er septembre pour quatre années autour de notre monde découvrir la richesse de ses habitants, qu’ils soient humains, mais surtout non humains. Je me déplace simplement, en vélo et en voilier. Mais pour vivre ce périple, il aura fallu des mois de préparation souvent fastidieuse et c’est ma passion pour le voyage atypique et le naturalisme qui a eu raison de ces difficultés. Que ce soit les échanges avec les proches inquiets, la lecture de récits d’aventures qui avortent salement ou la richesse de mes relations sociales, rien n’a ébranlé ma soif de découverte. Mais aujourd’hui, j’ai quitté mon antre, j’ai quitté ma famille, j’ai quitté mes amis, j’ai quitté mon territoire, j’ai quitté ma vie sédentaire et je suis seul et pour longtemps. La matérialisation de cette grande épopée débute donc par une inconfortable fragilité.

Premier site de bivouac du voyage (Les Essarts en Vendée). Quelques chênes majestueux sont là depuis un peu plus longtemps que moi.

Le sommeil haché de cette première nuit nomade n'a pas dissipé cette morsure, mais les multiples tâches préalables aux premiers tours de pédales journaliers me recentrent. Les gestes sont hésitants. Comment plier mon matelas ? Les sacoches, je les remplis avant ou après les avoir sorties de la tente ? Et l’oreiller, il doit se tétrisser dans la sacoche avant droite ou gauche ? Mon vélo finit par être chargé convenablement de ses ornements et je pars traverser la France plein sud.

C’est donc avec un sentiment complexe de mélancolie et d’excitation que je parcours mes premiers kilomètres et vois défiler les paysages du vignoble nantais, du bocage vendéen et des plaines céréalières du sud Vendée.

Ma réflexion des premiers jours est dédiée à l’optimisation du rangement de mes sacoches, des réglages du vélo, de l’ergonomie de mon smartphone/couteau suisse et un peu à me demander ce que je fous là. Jour après jour, mes mouvements sont plus sûrs, j’apprivoise doucement mon nouvel environnement de vie.

La bécane en cours d'optimisation volumique...

Les milieux naturels traversés me sont encore très familiers, j’y connais tous les habitants végétaux, ils me permettent de décrypter la qualité de l’écologie locale et son fonctionnement. À ce titre, le bocage vendéen reste encore assez riche comparé aux milieux qui l’encadrent que sont le vignoble et les plaines céréalières, même si le triste arrachage des haies défigure ce paysage si singulier.

Puis, ce sont des milieux palustres et forestiers qui me voient passer, ceux du Marais poitevin et des Landes de Gascogne. Le contraste est saisissant, je passe du marais ouvert et lumineux où l’horizontalité est omniprésente (terrain absolument plat, routes droites, canaux quadrillant l’espace) à la forêt de pins maritimes où c’est la verticalité, l’exiguïté et la pénombre qui dominent.

Enfin, la Vélodyssée que j’empreinte depuis Royan (véloroute monotone et surfréquentée de 1 200 km qui longe l’Atlantique), m’emmène dans le Pays basque, aux portes de l’Espagne. Un nouveau facteur entre en jeu : le relief.

Vue depuis Biarritz qui se mérite. Le petit plateau est finalement très utile.

Le Piémont froissé des Pyrénées m’apporte un nouvel éclairage sur ma monture : elle est lourde. Je réalise que les heures passées à rechercher un équipement léger et compacte en amont du voyage ont été salvatrices. Je suis lourd, mais je reste maniable et les pentes les plus raides me sont envisageables (pour le moment; on verra dans les Andes…).

Comme si la France me retenait, deux jours d’orage me séquestrent à Saint-Jean-de-Luz. Mais ce mercredi 11 septembre, je traverse la première frontière d’une longue série que compte ce périple, je suis désormais en territoire hispanique.

Ces premières semaines ont été intenses, notamment du point de vue émotionnel. Je n’ai pas l’impression d’avoir trouvé un rythme de croisière et je ressens encore régulièrement des vertiges quand je reprends conscience de mon projet. Mais les paysages, les plantes, les animaux qui croisent mon chemin me sont familiers, ils me rassurent et me rappellent pourquoi je suis là, alors je souris.